SANCI Kunst und Kultur Magazine // Oktober 2015 // Interview mit Ali Zülfikar // Eloïse Ebru Fesli // Photos Maxi Uellendahl

SANCI Kunst und Kultur Magazine // Oktober 2015 // Interview mit Ali Zülfikar // Eloïse Ebru Fesli // Photos Maxi Uellendahl

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Art, Culture
Ali Zülfikar : l’art de figer le temps
Par Aujourd'hui la Turquie le 17 août 2015

J’ai rencontré le peintre Ali Zülfikar Doğan dans la ville d’Ulft aux Pays-Bas, lors d’une visite dans le cadre du projet de la 23ème édition du Huntenkunst International Art. Sur 1200 artistes, seuls 200 ont été sélectionnés, dont Ali Zülfikar.

Ses débuts ont été marqués par le développement d’un art coloré ; « la technique de garance » en utilisant un colorant végétal en poudre mélangé à d’autres composants pour représenter un tissu épais formant des fissures au niveau de la toile et changeant de couleur avec le temps. Mais, depuis deux ans, il présente sa propre « technique de crayon sur toile ».

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A travers ses œuvres, il dépeint les différentes étapes de la vie humaine. Nous observons que l’ensemble de son travail est consacré à l’expérience de l’existence. Souhaite-t-il pousser notre réflexion afin que nous réalisions que chaque être humain fera l’expérience de la vieillesse et de la mort ? Ou bien souhaite-t-il nous rappeler, comme décrit dans la Bible dans le livre de la Genèse paragraphe 3 verset 19, que « nous sommes poussière » et que « nous redeviendrons poussière » ? Ses œuvres sont une sorte d’avertissement qu’il nous adresse afin de nous exhorter à bousculer notre inconscient et à comprendre enfin que la vie, c’est un fait, est très courte, et que nous devons, sans perdre un seul instant, connaître la joie de l’amour et la force du pardon, mais aussi apprendre à rendre grâce, donner sans compter, recevoir et exprimer notre gratitude. N’avons-nous pas là le secret du bonheur véritable et la clef qui ouvre la porte de la paix intérieure ?

Les principales œuvres de l’artiste fascinent par ces expressions faciales exacerbées, ces figures de personnes âgées exagérément vieillies et perdues dans leurs pensées, ces portraits de femmes surprises, angoissées, se tressant les cheveux ou encore riant aux éclats.

Tant l’amateur d’art expérimenté que le simple curieux ne peuvent s’empêcher de s’interroger sur le pourquoi de ces figures étranges, presque dérangeantes. L’expression accablée et mélancolique se lit sur leur visage. Ces portraits sont si parlants que l’on peut presque y deviner les pensées et y ressentir les émotions. Dans l’un d’eux, l’artiste s’est inspiré de sa grand-mère fredonnant une chanson traditionnelle émouvante (chants de lamentation ou encore des mélodies libres arythmiques [1]) venant du fond de son cœur pour apaiser la douleur causée par l’absence de ses êtres chers.


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Quand on observe ces œuvres de plus près, notre regard est totalement absorbé. Nous n’avions peut-être jamais regardé ces œuvres de si près. La technique utilisée, complètement différente de celles que nous connaissions, chamboule délibérément notre esprit et réveille notre tréfonds.

En les touchant, nous avons l’impression qu’elles vont se mettre à nous parler. Au souvenir d’une personne aimée, cela peut nous donner envie, selon le peintre, de leur baiser les mains [2] et de partager avec elles nos peines, nos joies et ainsi profiter de leurs expériences pour en tirer des leçons.

Elles sont tout près de nous. Brusquement, nos yeux s’écarquillent et nous entendons monter leurs rires. Puis nous nous retrouvons à discuter sans fin à leurs cotés, apaisés et confiants.

Entretien avec l’artiste :

Pouvez-vous nous parler de vous, pourquoi avoir choisi l’Allemagne ?

Je suis né le 15 mars 1971 à Milelis, dans un petit village dépendant de la province de Gaziantep, dans le Sud-Est de la Turquie, je suis le cinquième enfant d’une grande famille. Après une scolarisation classique, je suis entré à l’Université de Fırat à Elazığ et travaillé dans l’atelier des professeurs Cemal Aslan et Memduh Kuzay où j’ai étudié l’art. Muni des recommandations de mes professeurs, j’ai pris des cours de dessin sous la direction du professeur Gökhan Anlağan à l’Université des beaux-arts Mimar Sinan d’Istanbul. Suite à des problèmes politiques survenus en 1995, j’ai décidé de m’installer en Allemagne en 1997 dans la ville de Cologne. A partir de 1999, j’ai participé à plus de 160 expositions artistiques dans les musées d’arts et les galeries d’arts. De 2004 à 2014, j’ai acquis une expérience exceptionnelle en qualité de directeur artistique à la galerie Zeugma de Cologne.

 

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Comment qualifieriez-vous votre style ?

Avant d’arriver à la technique du « crayon sur toile », je suis passé par différents styles. A partir de l’an 2000, j’ai adopté la technique de l’art coloré « la technique de garance ».

Parmi les sujets traités, la terre et la nature ont pris une grande importance, notamment les branches d’arbres dans un monde mythologique tout en couleur. Cette technique a duré jusqu’à ce que je développe ma propre et unique technique de « crayon sur toile », utilisée pour la première fois en 2014. Cette technique me permet de m’exprimer librement sans contrainte dans mes portraits. Le choix de mes personnages reflète leur chemin de vie avec leurs propres émotions et angoisses. La lumière dans leurs yeux témoigne de leur état d’esprit, de leur parcours et de leurs peurs.

Qu’est-ce qui fait la différence et l’efficacité de votre technique du « crayon sur toile » ?

Le crayon est l’outil originel d’un artiste. Tous les projets commencent par cette technique. Jusqu’ici personne n’avait réalisé de dessin au « crayon sur toile ». Ce choix est actuellement au centre de ma conception artistique. L’expression « réaliste » des détails repousse les limites de la photo. La différence entre les artistes hyper réalistes et moi-même par exemple se situe au niveau du choix des couleurs. Je joue avec les tons de mon « crayon sur toile ».

Cette profondeur constatée dans mes œuvres doit son efficacité aux jeux de différences de tons utilisés. Cette technique des crayons ne supporte guère les fautes. L’utilisation de la gomme dénature l’œuvre. Réaliser une toile sans un coup de gomme demande une réflexion artistique particulière et aboutit ainsi à un chef d’œuvre. Pouvoir mobiliser son talent dans ce sens peut montrer la particularité de l’artiste.

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Pourquoi ce choix de représentation de personnages âgés dans vos œuvres ? Que vous inspirent-ils ?

Un artiste peut trouver toutes les particularités sur les visages des personnes âgées. Les rides, les traces de leurs joies et de leurs peines peuvent être lues à travers les profondeurs des fronts appliqués sur la toile, l’artiste peut représenter et compter les cheveux blancs mèche par mèche. Je veux montrer que chaque âge peut témoigner d’une richesse de beauté naturelle. Je traite différents âges dans tous leurs aspects, avec dignité et courage. C’est un honneur et un devoir pour moi de les transmettre ainsi. Je suis à la recherche d’une composition permanente en essayant d’attirer le spectateur dans mes œuvres tout en proposant un voyage dans le temps avec leur propre expérience de vie.

Vous êtes-vous inspiré de l’art européen ?

Il n’est pas possible d’établir une comparaison entre mon pays natal et l’Europe, que cela soit du point de vue artistique, culturel, ou économique. A l’égard des arts visuels je peux dire que l’Europe a un pouvoir central que l’on ne peut négliger. Du point de vue mental, l’art est le reflet de la vie d’une communauté. Les richesses des valeurs esthétiques et culturelles sont étroitement liées aux modes de vie de la société. En Europe, soit vous êtes un artiste soit vous ne l’êtes pas ; il n’y a pas de juste milieu. Ceux qui ont le plus de succès sont ceux qui vivent de leur art et qui travaillent avec des galeristes. L’artiste produit et le marchand d’art commercialise. L’Europe a très bien enraciné ce système, le marché de l’art fonctionne bien. Les bons artistes se différencient tôt ou tard. Dans ce sens, c’est ici en Europe, que j’ai perfectionné et orienté mon art.

Eloïse Ebru Fesli

Photos : Maxi Uellendahl, sauf « New generation ».

[1] « Ağıt » en turc ou « Uzun hava » assez répandus dans la tradition des villes orientales de Turquie.

[2] Très courant dans la tradition turque, le baisemain est un signe de respect envers les personnes âgées.

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